Chasse à l’homme au Canada

Vittorio Mangiarotti fecit

C’est l’histoire d’un exploit qui suscita: la réprobation d’abord, puis l’incrédulité et en fin, l’admiration.  De son auteur, on connaît le nom: Albert Johnson qui, au Canada, sonne aussi faux que Jean Dupont en France.  Malgré les recherches, on ignore toujours: son vrai nom, d’ou il venait et quoi cherchait-il.

Son corps fut exhumé en 2007, mais les examens aux isotopes ne donnèrent aucun résultat. On le ressortit en 2009 et on dut se contenter de constater qu’il était de race scandinave et âgé d’environ 30 ans. Un peu déçus, on l’enterre à nouveau et sa minuscule croix en bois brut attire plus de touristes que toutes les communautés Inuit ensemble.

Mais venons aux faits, tout commence le soir du 9 juillet 1931, avec l’arrivée, d’un misérable rafiot sur la rive du Peel River prés de Fort McPherson, cent kilomètres au Nord du cercle Polaire. L’homme qui en descendit avait comme tout bagage un fusil Savage 30/30 un havresac, 2.850 $ et l’humour de quelqu’un qui a avalé un enclume au petit déjeuner.  Il découragea immédiatement les indiens Loucheaux qui traînent dans le coin et son mutisme obstiné énerve l’agent King que cherche à en savoir plus sur son compte. Le jour suivant il achète: vivres, outillage, munitions, des pastilles Dodds et paye cash.  Le temps de construire un canoë et part vers le Rat River, au bord duquel il bâtit une solide cabane.

Il est sur le terrain de chasse des Inuits et les intimide ce qui, soit dit entre nous, n’est pas donné à tout le monde. 

Comme il ne parle à personne et ignore les rares visiteurs les autres commencent à lui casser du Tirlemont sur le dos et il est vite soupçonné d’être l’auteur pour tous les petits problèmes du coin. Un peu à contre cœur, la police montée lui rend visite, ils sont reçus avec un coup de carabine qui blesse l’agent King. Un peu vexés, ils reviennent avec une dizaine d’hommes, 42 chiens et la dynamite avec laquelle ils font sauter la baraque. Pas de chance, Albert s’en tire sans une griffe. Après 15 heures de siège et deux blessés, ils sont obligés de se retirer.  Quand ils reviennent, Johnson a disparu.

La cabane de Albert Johnson, après la visite de la R.C.M.P. (04 janvier 1932)

Entre temps, les medias se sont emparées de l’histoire et il devient impératif de redorer le blason de la Royal Canadian Mounted Police. La plus grande chasse à l’homme de l’histoire canadienne prend forme: policiers, guides indiennes, chiens, trappeurs et un avion de recognition se lancent sur les traces du fugitif.  Le tout en plein hiver arctique, par des températures de – 45°C à travers la chaîne des monts Richardson.

Cinq semaines durant, Albert Johnson promène ses ignares chasseurs sur 240 km. de montagnes enneigées, revenant souvent sur ses pas.   Avec une astuce diabolique il leur pourrit la vie en se déplaçant au milieu des troupeaux de rennes ou durant les tempêtes de neige qui effacent ses traces. Il détourne leurs pièges, contourne leurs campements, il les surprend quand ils croient l’avoir surpris et il manque rarement sa cible.

Le 7 février 1932, l’avion arrive à le repérer prés de Aklavik, dans un terrain parfaitement découvert et se lève chaque jour pour indiquer sa position. Même dans ces conditions, il faut encore dix jours avant que les poursuivants arrivent à l’encercler et à mettre fin à son aventure avec neuf balles de fusil.

Il est difficile de ne pas vouer un sentiment d’admiration à l’inhumaine capacité de survie d’Albert Johnson. Seuls ceux qui ont passé au moins une nuit à ciel ouvert, en haute montagne et dans un blizzard, peuvent vaguement imaginer à quoi ça peut bien ressembler une partie de cache-cache qui dure des semaines dans un milieu aussi hostile.

A -45°C, satisfaire la moindre nécessite corporelle devient une aventure épique. Travailler avec des doubles gants est impossible, les enlever c’est une aventure car il faut les chauffer contre son corps sous peine de ne pas pouvoir les remettre. Pas question de se laver ou d’ôter le moindre indûment car, à cette température, la transpiration solidifie en quelques minutes et on se retrouve avec des chaussettes en béton glacé. Dans une tempête de neige, c’est pire, la visibilité est réduite au bout de son bras. Les flocons s’accumulent sur les cils et troublent la vision, les yeux larmoient et si on a le malheur de les frotter, on ne les ouvre plus, car larmes et neige fondent pour geler aussitôt !

Une chose est certaine, quel qu’il eut été son vrai nom, Albert Johnson était un dur à cuire.

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