REFECTION D'UNE CARABINE-JOUET RENE WARNANT

On me confie la réfection - ou restauration - d'une carabine-jouet fabriquée à Liège par René Warnant, sans doute fabriquée pendant le premier conflit mondial, ou au début de l'interbellum. Je ne sais pas avec précision si le fabricant était René Warnant, inscrit au BE de 1912 à 1956, ou de René-Guillaume Warnant-Counasse, de la même famille. Les deux ont été actifs jusqu'après le second conflit mondial.

Ne pouvant plus exercer leur métier que pour le compte et sous contrôle des Allemands, un grand nombre d'armuriers liégeois se retrouvèrent sans travail et obligés de "faire autre chose" en attendant des jours meilleurs.

Certains trouvèrent en cette époque troublée un nouveau créneau dans le domaine du jouet, sans doute autorisé par l'occupant. Il est d'ailleurs très probable que cette production se soit poursuivie dans l'interbellum, simplement pour des raisons économiques.

La carabine que l'on me confie est un de ces jouets, et en toute honnêteté, je la daterais entre 1914 et 1930.

DESCRIPTION (voir fig 1 à 6

"L'arme" est une petite carabine de dimensions réduites, visiblement destinées à un soldat de 8 à 10 ans.

Elle a une longueur hors tout de 78 cm; le canon mesure 51 cm entre la bouche et le bouchon arrière, la crosse d'épaule mesure 20 cm entre la plaque de couche et la poignée-pistolet, laquelle accuse une longueur de 10 cm. Le tout ne pèse pas même 1/2 kg.

A la bouche du canon, le pied à coulisse nous donne un "calibre" de 9.5 mm. Le canon est constitué d'un simple tuyau d'acier (?) de 1.5 mm d'épaisseur, englobant tout le mécanisme dans sa partie arrière.

C'est un système à verrou, ce dernier étant actionné par un ressort en spirale. Le pontet est une simple section de bande courbée et fixée à la crosse par deux vis à bois. Il y a deux anneaux de bretelle fixés dans le bois de la crosse, laquelle est réalisée dans un bois dur bon marché, sans doute du hêtre. Du côté droit, la crosse présente l'inscription "Fabrication Liégeoise" sur 2 lignes en ellipse; du côté gauche se trouve un macaron rond comprenant les initiales RW entrelacées et les mots "système breveté" au-dessus et en dessous du macaron. Ces marquages sont imprimés assez profondément dans le bois, et ont fort heureusement résisté au temps et aux rudes traitements des enfants qui ont soumis ce jouet à rude épreuve.

La crosse et le canon sont fixés ensemble par une seule vis placée au centre de la longuesse.

Certains détails révèlent immédiatement la main du professionnel, tels l'écusson de la vis de maintien de la crosse, lequel est du même type que ceux que l'on trouve sur les fusils fabriqués au 19è et début 20è, à savoir un "écusson à oreilles" parfaitement monté à bois. D'autre part, le fabricant s'est donné la peine de quadriller le bois de crosse à la main, comme sur les vrais ! C'est un peu ce qui me fait estimer la période de production...

La "munition" est constituée de disques-amorces Maynard en papier (voir encart). Une fente perpendiculaire est pratiquée dans le canon devant le verrou; à cet endroit le canon est bouché et comporte une fenêtre d'échappement des gaz sur le dessus. Le "tireur" arme le verrou et introduit un disque-amorce verticalement dans la fente, et tire. Il n'y a aucun organe de visée, ni aucun système de blocage ou de sûreté, d'ailleurs parfaitement inutiles sur ce jouet ne présentant aucun danger.

Le tout est robuste et destiné à servir. Notre exemplaire montre d'ailleurs des traces d'utilisation intense; le mécanisme est sale et plein de cambouis et de Dieu sait quoi d'autre, mais il fonctionne parfaitement. Le vernis de la crosse est parti en lambeaux, et petits coups, griffes et taches ne se comptent plus.

La bretelle, quant à elle, est juste bonne pour la poubelle, ce qui n'est qu'un demi-mal vu qu'il s'agit d'une bretelle plus récente en simili-cuir ou matière plastique. Je vais devoir dénicher une lanière de cuir bon marché équipée de pressions en cuivre pour la remplacer...

NOTE A PROPOS DES AMORCES MAYNARD

Les jeunes de ma génération (j'ai 63 ans) se souviennent tous de ces petits rouleaux d'amorces en papier rose, qui constituaient la munition de nos revolvers d'enfant, et dont l'usage s'est poursuivi assez loin dans les années 1960. Certaines de nos "armes" utilisaient, au lieu de rouleaux de papier, de petites pastilles de papier de la taille d'un confetti, au centre desquelles était placée une goutte de fulminate. Ces pastilles se vendaient par 100 dans de petites boîtes en carton rondes.

Peu de gens cependant connaissent l'histoire de ce système déjà très ancien. Il a été inventé par un dentiste américain renommé à son époque, nommé Edward Maynard, un homme intéressé par la technique et spécialement par le problème de chargement trop lent des armes de son époque. Il se mit donc la recherche d'améliorations, notamment dans le système d'amorçage, de manière a éviter aux soldats, en hiver avec les doigts gourds ou de gros gants, la difficulté de placer une capsule sur une cheminée et d'améliorer ainsi le rendement de leurs armes.

Il mit au point son système d'amorçage et le fit breveter le 22 septembre 1845 sous le n° 4028. Sur les armes prévues pour les rouleaux, ceux-ci sont placés dans une petite cavité sur la droite de la platine; le mouvement d'armement du chien est transmis à une petite roue dentée, qui fait avancer la bande et place une amorce exactement au-dessus de la cheminée. En s'abattant, le bord arrière de la tête de chien, aiguisé comme un couteau, coupe le ruban.

Il existe depuis le début tant sous forme de rouleaux de 100 amorces que sous forme de pastilles individuelles placées en pile dans un petit cylindre (voir revolver Butterfield). L'armée adopta le système pour son fusil Springfield 1851 et paya à Maynard la somme alors énorme de 75.000 $.

Le système, pourtant bien au point, se révéla cependant absolument désastreux par temps humide ou pluvieux, la pluie faisant coller ensemble les amorces et détruisant le papier porteur.

Le système fut abandonné, mais cependant pas oublié, car il trouva un nouveau créneau dans le domaine du jouet, lequel lui garantit une existence de près d'un siècle et demi. Il sera petit à petit détrôné par un autre ancêtre, la capsule à percussion (souvent en plastique !), vers 1965. Aujourd'hui, les amorces de type Maynard sont devenues une rareté.

 

DEMONTAGE DU MECANISME (Fig 7 à 9)

 

Par chance, le démontage de cette vieille pièce se révèle très facile.

Le canon repose dans une gorge taillée dans le haut du fût, et est maintenu en place par une seule vis, située au milieu de la "longuesse". Cette vis, qui comme dit plus haut trahit un travail d'armurier avec son écusson à ailettes bien encastré dans le bois, se dévisse sans problème. Le reste du mécanisme, y compris la détente et son ressort, se trouve dans et sous le canon.

Dans le bois du fût, sous le canon, est frappé le chiffre 13. Il nous sera sans doute à jamais impossible de connaître la signification exacte de ce chiffre, mais les puristes seront heureux d'apprendre que le même numéro est frappé sur le dessous du verrou. L'engin a donc au moins deux éléments au même n°.

A 11.5 cm de l'extrémité arrière du canon est pratiquée une fente transversale d'environ 1.5 mm de large, qui est destinée à recevoir les disques-amorces; à l'intérieur du canon, juste devant la fente, se trouve évidemment un bouchon fixe qui sert de butée. Un peu en-arrière de la fente de chargement, sur le haut du canon, se trouve une autre fente, placée dans le sens du canon, et qui doit à mon avis servir de fenêtre supplémentaire d'échappement des gaz.

Précaution à mon humble avis inutile, mais qui suis-je...

Sur le côté droit du canon est pratiquée une autre fente, de quelques cm de long, de laquelle émerge la boule du verrou. Enfin, à son extrémité arrière, le canon est obturé par un bouchon métallique de 15 mm de long, simplement glissé dans le canon et maintenu en place par une grosse vis transversale.

Côté extérieur, sous le canon, se trouve un gros ressort plat. Ce ressort est fixé au canon à l'avant, par une grosse vis, et comporte également un gros plot qui pénètre le canon par un simple trou. Ce plot vient se loger dans un cran taillé dans le dessous du verrou et sert en fait de levier de gâchette.

L'arrière du ressort plat est taillé en fourche; dans cette fourche vient s'articuler la détente, en fait un simple morceau d'acier courbé à angle droit.

Le verrou est constitué d'un morceau d'acier massif comportant à sa partie inférieure un cran de blocage précédé d'un plan incliné sans doute destiné à faciliter le mouvement. La face avant de ce verrou, destinée à frapper l'amorce, est légèrement convexe.

Ce verrou est actionné par un simple ressort en spirale placé derrière lui, et maintenu en place par le bouchon de culasse.

Le fonctionnement est simple et ingénieux: on tire le verrou en arrière jusqu'à ce que le plot du ressort de détente vienne s'engager dans son cran; ensuite on introduit une amorce dans la fente, et on appuie sur la détente. Le coude de celle-ci, prenant appui sur le canon, force le ressort de détente vers le bas, ce qui fait s'effacer le plot et permet au verrou de frapper l'amorce sous l'action de son ressort.

Qu'il me soit permis cependant de constater ici un défaut conceptuel: le canon n'est maintenu en place dans le bois que par une seule vis placée assez loin vers l'avant, et est assez affaibli par la fente transversale de chargement. Un usage intensif finit par provoquer une pliure à cet endroit, provoquée surtout par la pression de la détente, dont le coude prend directement appui sur le canon.

L'ensemble du mécanisme, avec son grand ressort plat placé sous le canon, rappelle inévitablement le "système Warnant" utilisé dans des milliers de carabines et pistolets de salon...

La mécanique se démonte facilement, à l'exception bien sûr du bouchon de culasse, sans doute jamais démonté et collé par la crasse et le cambouis.

Cependant, un petit coup de chauffe (pas trop fort) et de refroidissement brutal, puis quelques petits coups à l'aide d'une fine tringle introduite par la fente du verrou, suffisent à lui faire lâcher prise.

Toutes les pièces sont sales et légèrement oxydées, mais finalement en bon état, en-dehors du ressort en spirale, devenu un peu faible et probablement à remplacer. Je vais commencer par les mettre à tremper quelques jours dans un bain de pétrole pour décoller le cambouis, et m'occuper entretemps du bois.

 

LA CROSSE

 

Holala... à voir l'état de délabrement de cette crosse, je crois qu'on peut dire que notre "arme" a pas mal servi ! Le bois est plein de coups, de taches, de griffes, et le vernis est abîmé partout.  Il n'y a pas d'alternative: je vais être obligé de décaper la couche de vernis originale, de poncer le bois et de le revernir.

Je constate une vilaine cassure dans le sens horizontal, juste derrière le pontet, et allant jusqu'aux 3/4 de la poignée-pistolet. A cause du quadrillage, cette cassure n'est pas trop visible, mais je décide quand même de la réparer.

Je commence par écarter prudemment les deux parties; j'introduis ensuite un "coin" constitué d'un simple cure-dents, afin de maintenir la cassure ouverte et de me permettre d'injecter de la colle à l'aide d'une pointe de couteau. (fig 10).

Ensuite je retire le cure-dents et fore un trou vertical de 6 mm de diamètre et d'environ 3 cm de profondeur, à travers les deux parties de la cassure.

(Fig 11).

Dans ce trou, j'enfonce alors une cheville de bois dur, en l'occurrence du hêtre, enduite de colle (Fig 12). Puis je serre le tout dans un serre-joint (pas trop serré pour ne pas marquer le bois) et je laisse sécher (Fig 13).

Une fois sèche, j'enduis la crosse d'une bonne couche de gel décapant du commerce. Ce produit est très efficace pour ramollir et détacher les vieux vernis et peintures, et n'a aucun effet sur les métaux ni les colles. Il suffit de laisser travailler le produit, puis d'enlever les résidus de vernis à l'aide d'une brosse.

Ensuite il faut évidemment poncer le bois pour en enlever tous les résidus.

Les fig 14 à 17 montrent la crosse nue et poncée; ma cheville, arasée à la lime et au papier émeri, est devenue invisible et est de toute façon indécelable au toucher. Il me faut encore un peu améliorer le ponçage de la réparation, afin de faire disparaître le plus possible de traces de la cassure.

Afin de ne rien casser, je renonce à tenter d'extraire l'écusson de la vis de maintien du canon à la crosse pour le nettoyer et le rebleuir; cette opération devra être effectuée avec la pièce en place, à la couche.

J'ai l'intention de reteinter le bois - pas trop foncé - puis d'y appliquer deux couches de vernis-tampon. L'avantage de ce vernis, qui s'applique au tampon et non à la brosse, est de sécher immédiatement en surface, ce qui permet les manipulations et empêche la poussière de venir s'y coller. Il est cependant nécessaire d'attendre deux à trois jours pour appliquer la couche suivante, ce vernis durcissant très lentement en profondeur.

Les photos 18 à 20 montrent la crosse reteintée et avec une première couche de vernis. J'ai d'abord appliqué une légère couche de teinture à l'aide d'une petite éponge mouillée, de façon à bien répartir la teinture et à éviter le plus possible les différences de teinte dans ce bois qui absorbe l'humidité à une vitesse époustouflante. Je l'ai ensuite mise à sécher pendant 2 jours puis lui ai donné une première couche de vernis. Le résultat est encourageant, et le temps de séchage nécessaire finalement acceptable.

 

LES PARTIES METALLIQUES

 

Les pièces du mécanisme sont fort sales et couvertes d'une légère couche de rouille, mais il n'y a pas de quoi s'en faire. Les quelques jours passés dans un bain de pétrole ont bien ramolli la rouille, qui s'en va sans demander son reste au premier coup de brosse métallique. Au nettoyage, je constate que la détente, comme le verrou et la crosse, est frappée du chiffre 13.

Le canon est à l'origine simplement peint en noir. J'ai donc prévu une bombe de peinture noir brillant, mais le propriétaire me dit qu'il préfère de loin un bronzage bleu "comme sur les vrais". C'est un choix qui s'écarte un peu de l'originalité, mais c'est sa décision, donc je vais essayer. Je n'y crois pas trop à cause de la qualité médiocre du métal du canon, mais on verra à l'autopsie...

J'ai donc gratté tous les restes de peinture au papier émeri, puis ai poli le métal avec des grains de plus en plus fins et terminé par un passage à la laine de fer extra-fine (1.000). Toute la crasse et la rouille sont éliminées, mais je n'arrive pas à un poli miroir comme je le voudrais. Le nettoyage révèle sur le dessous du canon, encore une fois le chiffre 13. Ce chiffre se retrouve donc sur 4 éléments du jouet.

A mon grand étonnement, non seulement le métal du canon accepte de bleuir, mais il devient déjà foncé à la première application de liqueur. En fait, il ne me faudra que 3 couches fines pour obtenir un beau bleu soutenu. Je suis fort étonné de ce résultat, mais également ravi. Le propriétaire sera content lui aussi de ce résultat.

Comme d'habitude, une fois bronzée, je rince la pièce à l'eau puis la frotte avec un chiffon imbibé d'huile, afin de stopper l'action acide de la liqueur.

Le résultat ne laisse pas de m'étonner. Il me reste maintenant à donner le même traitement au pontet; le verrou restera poli blanc, mais sa boule, ainsi que la queue de détente, les têtes de vis et les passants de bretelle seront bleuis à la flamme. C'est plus joli...

Les fig 21 à 23 montrent les pièces métalliques nettoyées et le mécanisme remonté. Désolé pour la qualité des photos...

NOTE A PROPOS DU DEFAUT CONCEPTUEL

Je pourrais assez facilement corriger ce défaut de sorte que le coude de la détente ne puisse plus plier le canon, tout simplement en remplaçant la grosse vis courte qui maintient en place le bouchon de culasse par une vis plus longue, traversant le bois à la verticale entre l'arrière du pontet et maintenant en place le bouchon. Une telle vis contrerait la pression du coude de la détente et préviendrait une pliure. Mais cette transformation est-elle utile sur un objet qui finalement n'est plus destiné qu'à être exposé en vitrine ? Je ne pense pas...et puis, je me suis déjà suffisamment écarté de l'originalité avec le bronzage bleu du canon. Je renonce donc.

Je pourrais également limer une partie du coude de la détente et raccourcir un rien le plot qui sert de gâchette, mais je renonce également, pour les mêmes raisons.

Il ne me reste plus qu'à nettoyer et bronzer le pontet. Pour la facilité, je brûle la couche de peinture noire au chalumeau, puis j'élimine les restes à l'aide d'une brosse métallique. Ensuite, je polis le mieux possible en utilisant de l'émeri et de la laine de fer en grains dégressifs, jusqu'à ce que le métal soit bien propre. Ce nettoyage révèle, frappé à l'intérieur du pontet....le chiffre 13.

Une fois nettoyé et repoli, le pontet est facile à bleuir à la flamme, et je n'ai plus qu'à le remonter.

Et voilà, l'engin a retrouvé un aspect présentable, et mérite à mon avis une bonne place au sein d'une collection d'armes liégeoises.

Marcel

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