Le Conquistador... perdu

Vittorio Mangiarotti, fecit

Si on établissait un palmarès de la poisse, Alvar Nuñez Cabeza de Vaca serait un parfait candidat à l’Oscar. En peu de temps il empile toutes les misères qui peuvent pourrir la vie d’un honnet’homme : maladies, trahisons, naufrages, esclavage et famine. Sa via crucis commence à Séville, le 11 décembre 1526, quand Charles V le nomma alguancil mayor (trésorier) de l’expédition de Pànfilo de Narvàez.

Avec 600 autres conquistadors il lève l’ancre en juin 1527, fait une halte aux Canaries, arrive à Santo Domingo et 100 soldats désertent. Les autres repartent vers Trinidad ou les attends un ouragan qui coule deux navires, tue 60 hommes et détruit toutes leurs provisions.

Après un inexplicable ballet naval entre Trinidad et Cienfuegos la flotte met le cap sur la Havane, parcourt trente milles et échoue lamentablement sur les bancs des Canarreos. Trois semaines s’écoulent, ils sont renfloués par une providentielle tempête et reprennent la route pour la Capitale. Ils arrivent en vue du port et une tornade les repousse au large.

Un peu énervé, Narvàez décide de se passer des provisions qui l’attendent à la Havane et met le cap sur le Mexique. Pas de bol, après un mois de tentatives inutiles, le Gulf Stream les dépose à Boca Ciega en Floride et dans l'euphorie des manoeuvres, ils coulent encore un navire. Ils posent, enfin les pieds à terre.

Narvaez fait ressembler la trentaine d’indiens Tocobaga qui traine dans le coin, procède aux rituels échanges pacotille contre nourriture et leur inflige la pompeuse lecture de El Requierimiento. Les indigènes ne comprennent pas un seul mot d’espagnol mais ils en saisissent manifestement le sens car le matin suivant ils ont disparu avec: armes, bagages et…vivres.

Rien ne peut ternir la ferveur mystique de Narvàez, il décide de poursuivre les explorations avec 300 hommes et ordonne au reste de la troupe de le rejoindre, avec navires et provisions, plus au Nord. Il ne les reverra plus !

C’est à ce moment que Cabeza de Vaca fait le mauvais choix de sa vie, au lieu de prendre le commandement de la flotte comme le lui propose Narvàez, il décide de suivre ce dernier et les deux s’enfoncent en territoire Apalachée. Nous sommes le 1 mai 1528.

A terre, les choses ne vont pas très bien non plus. Les Apalachées écoutent avec beaucoup d’attention les sermons des nouveaux arrivés et manifestent leur désaccord avec une bonne volée de flèches. Après quelque brève mais virile discussion, les espagnols décident de reprendre le large ce qui, à défaut de bateaux, s’annonce assez aléatoire.

Avec le fer de leurs armures ils fabriquent l'outillage, ils dévorent les chevaux et construisent cinq rafiots de fortune.

Entre tempêtes et noyades ils côtoient le Texas et les derniers 80 miraculés font naufrage aux alentours de l’actuelle Galveston.

Famine et indiens aidant, en 1532, les seuls survivants connus de l’entière expédition sont: Maldonado, Dorantes, Cabeza de Vaca et Estebanico.

Estebanico

Commença alors leur odyssée à travers le Texas et le Nouveau Mexique. Ils sont précédés par la réputation de Curandero (1) de Cabeza de Vaca et suivis par la horde d’indiens aux quels ils ont volé les provisions. Estebanico en profite pour apprendre les langues locales et séduire quelques indiennes, ce qui ne manqua pas d’ajouter un peu de piment à leur vie quotidienne.

C’est ainsi qu’après 6000 Km. ils arrivent à Culiacan, en 1536, puis à Compostela et à la civilisation.

Rentré en Espagne, Cabeza de Vaca consigne le récit de ses aventures dans un volume «Naufragios» qui demeure, encore maintenant, un précieux traité d’ethnologie.

Estebanico, reste au Mexique et sera le protagoniste d’une aventure délirante, à la recherche des sept cités de Cibola. Il terminera ses jours dans le mystère et animera, des siècles durant, les légendes du Colorado sous le noms de Estéban el Moro, ou de the Black Estevan.

Mais, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire.

(1) Curandero= shaman+sorcier+médecin

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